Tribu ou ethnie : un frein à l’épanouissement congolais ?

Tribu ou ethnie : un frein à l’épanouissement congolais ?

Tribu ou ethnie : un frein à l’épanouissement congolais ?

Ma soeur,

Un grand savant africain a dit ceci :“Tant soit peu. Connaître votre passé et renforcer les sentiments de cohésion nationale… Je crois que le mal que l’occupant nous a fait n’est pas encore guéri. Voilà le fond du problème. L’aliénation culturelle finit par être partie intégrante de notre substance, de notre âme ; et quand on croit s’en être débarrassé, on ne l’a pas encore fait complètement.

Souvent le colonisé ressemble un peu, souvent l’ex-colonisé même ressemble un peu à un esclave du XIX siècle qui, libéré, va au pas de la porte, puis revient à la maison puisqu’il ne sait plus où aller, il ne sait plus où aller, depuis le temps qu’il a perdu la liberté, depuis le temps qu’il a appris des réflexes de subordination, depuis le temps qu’il a appris à penser à travers son maître. C’est un peu ce qu’il est arrivé aussi à l’intelligentsia africaine dans son ensemble.”(1) https://youtu.be/KGlbVk3V9es

Cette réflexion n’a pas perdu de sa substance et encore moins de son actualité. Elle résume le comportement intellectuel du Congolais qui se soumet dans la majorité des cas à des paradigmes ou à des narratifs étrangers jugés universels par ceux qui les énoncent, et que le Congolais évidemment avale. Ces narratifs ou paradigmes deviennent des bases sur lesquelles sa réflexion repose, le dispositif sur lequel sans analyse préalable ses interrogations tirent son origine. Or si le paradigme est faux, mensonger ou même stupide, sur quelle conclusion va-t-on aboutir ?

Certes, le mal que l’occupant nous a fait, comme le formule si bien le professeur Cheik Anta Diop, nous ne pouvions pas à l’époque nous en débarrasser parce qu’esclaves, et nous ne disposions pas des données relatives de l’occupant pour comprendre intellectuellement l’envahisseur. Ce n’est plus le cas. Pourtant, la privation des libertés inhérentes à l’homme ou à la femme suffisait largement pour la révolte.

Ce qui fut fait, même si le Congolais a été roulé dans la farine par une indépendance ratée. Cette révolte a permis que le Congolais se hisse au niveau de la compréhension de l’esprit de l’envahisseur et soit en mesure de combattre ses inepties, ses contradictions, ses erreurs et ses mensonges, et l’aider par une controverse des idées pour tenter d’atteindre l’universalité des valeurs tant soit peu qu’on peut l’atteindre.

Pour cela, le Congolais doit apporter sa contribution. Soit dit en passant que je ne parle pas de l’homme noir en général qui a donné les bases des civilisations présentes il y a des millénaires, mais plutôt de la contribution du Congolais d’aujourd’hui ? Quelle en est donc ? L’idéologie religieuse : chrétienne, musulmane ou autre empruntée. Voilà. Pourquoi l’idéologie religieuse ? Parce que celle-ci a supplanté ses traditions, ses coutumes, bref, sa spiritualité ; parce qu’il ne connaît pas son histoire et est sujet à toute idéologie d’où qu’elle vienne. À ce stade, le Congolais n’a rien à donner ; et comme il n’a rien à proposer, c’est lui maintenant qui aspire les renvois de l’autre.

Je voudrais avant de continuer lever une incompréhension qui a pignon sur rue parmi les Congolais au sujet des églises de réveil. Le commun de mortels congolais pense que les églises de réveil sont les seules organisations religieuses qui se basent sur la révélation et qu’il fustige d’ailleurs comme étant l’expression d’une débauche spirituelle dans l’exaltation du Saint-Esprit et des miracles qui s’en suivent, à l’opposé des communautés chrétiennes catholique et protestante dont l’expérience de la sainteté se révèle dans la sérénité. Non. La vérité est que la foi religieuse de la Bible est basée justement sur la révélation, en commençant par Abraham de la Genèse jusqu’à Jean de l’Apocalypse. Dieu s’est révélé à eux.

Ainsi donc, ce vide spirituel a permis depuis longtemps l’acceptation de la dévalorisation de nos valeurs ancestrales par celui qui en principe devait les valoriser, c’est-à-dire le Congolais lui-même. La diabolisation dont ont été victimes les valeurs traditionnelles africaines tribales et ethniques dans son entièreté a accouché de ce rejet absurde.

Comment donc la tribu ou l’ethnie est devenue un frein à l’épanouissement collectif du Congolais ? Je dirais tout de go qu’elle l’est par la volonté de l’occupant. Du moment qu’il devait implanter une nouvelle idéologie, l’ancienne, c’est-à-dire celle du Congolais, devait ẽtre diabolisée et disparaître. Elle s’inspire, cette diabolisation, par ses propres expériences de destruction de la cellule familiale ou tribale dont je vais parler plus bas.

Sur le plan politique où cette accusation gratuite est formulée par l’Occident pour fustiger faussement les carences gouvernementales en matière de gestion du pays, – je ne crois pas que la megestion du gouvernement congolais tire son origine du tribalisme ou autre mais plutôt sur l’incapacité des acteurs politiques à mener à bien ce travail de développement du pays, et bien d’autres facteurs externes-, l’Occident continue tout simplement sa politique de diviser pour régner.

Si donc en général, le monde occidental ne croule plus sous le diktat de ce trésor culturel qu’est la tribu ou l’ethnie, pourquoi avons-nous connu le Troisième Reich, le Code noir, des écrivains comme Gobineau entre autres, la traite d’esclave à l’échelle planétaire ? Est-ce parce que le noir ne compte pas sur l’échiquier international ?

Comparaison n’est pas raison ? Bien. Pourquoi alors vilipender les valeurs des autres et chercher à les remplacer par sa propre expérience ? Le Congolais, je vais dire les peuples des contrées qui sont devenues le Congo, s’en est toujours bien sorti de ses valeurs culturelles jusqu’à l’arrivée de l’occupant. Même si on peut argumenter sur le concept de la mondialisation dont il apparaît clairement qui sera le chef, le Congolais doit faire le choix de les adapter sur le monde dit moderne en tenant compte de ses réalités intrinsèques. Ce processus est facilement faisable d’autant que les coutumes et traditions sont évolutives.

A ce sujet, je ne dois pas passer sous silence le fait que la plupart des partis politiques du Congo à la veille de la révolte et de la formation d’une nation congolaise ait eu pour base la tribu ou l’ethnie. Cela est aisément compréhensible par le fait que l’identité chrétienne dont se prévaut et défend aujourd’hui contre vents et marées le Congolais, avait été justement le déclic d’une insurrection mentale grâce à la formule du missionnaire devant les interrogations des ouailles“ Fais ce que je te dis, ne tiens pas compte de ce que je fais”, c’est-à-dire que la parole et l’action du missionnaire évangélique se contredisait superbement.

La base religieuse rejetée momentanément, sur quel socle idéologique, le politique congolais pouvait-il bâtir son parti et rassembler ses compatriotes contre l’occupation ? Sur quelle base aurait-on souhaité que la nation s’érige ? Sur la base d’un concept mensonger et irrationnel ou sur celle des traditions qui ont fait leurs preuves depuis la nuit des temps ? Alors, doit-on continuer sur la même base tribale maintenant que l’État-nation existe malgré ses trébuchements ?

Évidemment non, mais comme je l’ai dit plus haut, elle ne constitue pas la conséquence du désastre politique. Il est aussi important de savoir que la tribu est constituée des clans qui eux-mêmes sont l’émanation des familles. C’est dire en d’autres termes que l’unanimité n’est jamais acquise dans la compréhension des actes au sein d’une tribu donnée. D’où l’opposition, qui combat souvent la déviation. L’ignorance des enjeux, la méconnaissance de son rôle politique font que l’acteur politique congolais se fourvoie encore dans la gestion politique de type colonial.

À supposer qu’il n’y ait pas eu des partis politiques d’obédience religieuse avant l’indépendance,- s’il y en a eu, ils contribuaient au même clivage que celui des tribus, – il est à remarquer que depuis la culture religieuse a repris le terrain apparemment perdu dans le subconscient de la majorité des Congolais. Et de nous demander si ce n’est pas la religion qui constitue un frein à la prospérité du Congo ? Pourquoi ? Parce que la religion révélée a sucé jusqu’à la moelle la sève patriotique et les valeurs traditionnelles humanistes qui ont prévalu dans la plupart des chefferies, royaumes et empires congolais.

Revenons à ce narratif occidental qui, ayant préparé en amont un terrain idéal de prédation intellectuelle dans l’esprit du Congolais par l’inoculation de l’idéologie chrétienne, incite le Congolais à réfuter l’essence même de son identité. Et pourtant, la Bible soutient l’identité d’un peuple cité qu’on essaye d’universaliser. Ainsi n’est-t-on pas surpris de comprendre que le Congolais rejette ses propres valeurs pour en emprunter chez les autres, des valeurs qui ne correspondent pas à son milieu naturel, à son passé.

En se référant justement à son passé, à son histoire, on peut constater, d’une part, que le monde européen avait connu sans doute cette structure de la famille aussi, avant les guerres fratricides de prédation à travers des siècles, l’imposition des langues des vainqueurs et l’extinction des groupes humains par des tyrans sanguinaires qui voulaient réunir le monde sous une même bannière comme on dit, que l’Occident a perdu cette valeur.

C’est le même paradigme que l’Occident poursuit encore aujourd’hui. Ayant vécu des millénaires cette situation, il en est devenu une habitude, disons mieux, une seconde nature pour eux ; et ils voudraient que leur nouvelle nature codifie tout le système mondial ; d’autre part, si les valeurs tribales ou ethniques freinent le développement d’un pays, pourrait-on penser une seule fois en France par exemple que la reconnaissance d’une certaine culture des Bretons, des Basques ou celle des Catalans en Espagne sonnerait le glas du progrès tous azimuts des pays cités en attribuant leur indépendance à ce groupe de peuples cités ?

Si tel n’est pas le cas, on doit croire que l’Occident a une vue dégradante du Congolais. En tout état de cause, on se demande la raison qui pousse l’Européen à revendiquer la civilisation gréco-romaine. Qu’est-ce que la civilisation gréco-romaine, au fait ? N’est-ce pas un répondant ? ponctuée de rites, de coutumes et de traditions européennes à la civilisation africaine millénaire d’où il tire – on ne cessera jamais de le dire – son origine ? Et n’est-ce pas aussi la quête d’une identité que le Congolais affiche honteusement en revendiquant son appartenance au christianisme ? La raison de cette revendication est formellement humaine.

L’homme est ce qu’il est par ce que définit une civilisation. Du reste, le manque d’une spiritualité, pour la raison de la seconde nature,- proprement ancrée dans la société européenne à l’instar de la société africaine a suscité une sorte de frustration, de jalousie, partant de haine raciale qui, au lieu de s’approprier la spiritualité africaine pour se débarrasser de la barbarie et valoriser leur humanité, le monde occidental s’est plutôt déterminé à en miner la substance et la remplacer par la culture de la tyrannie qu’il a toujours connu au fil des siècles.

La structure tribale ou ethnique ne saurait freiner le développement du Congo. Pour la simple raison qu’elle renferme en son sein les semences du développement différentes de l’occupant européen, et aussi parce qu’elle puise sa source dans la rationalité et se meut dans la clarté de l’évolution humaniste et non figée dans les traditions et coutumes divinisées contenues dans l’idéologie chrétienne ; la civilisation judéo-chrétienne dont l’Occident revendiquait l’appartenance jadis, toujours en quête d’une identité comme le disait si bien un général français(2), et qu’une infime minorité professe aujourd’hui du bout de lèvres, est devenue malheureusement la structure de base de la réflexion congolaise.

C’est dire que le Congolais dispose d’une prémisse foncièrement biaisée par le biais de l’aliénation d’où le questionnement aboutit vraisemblablement à une mauvaise conclusion, je l’ai dit plus haut.

Quand le Congolais pose le problème des traditions africaines, il le fait selon la vue de celui qui veut justement les abolir. Il aurait été aisé de le faire selon ses propres prémisses, mais pour cela il faudrait d’abord qu’il extirpe de sa tête l’Européen qui y trône royalement. C’est tout l’enjeu. Et il est de taille. Parce qu’il ne sait plus où aller, parce qu’il ne sait plus où aller, depuis le temps qu’il a perdu la liberté, depuis le temps qu’il a appris des réflexes de subordination, depuis le temps qu’il a appris à penser à travers son maître. N’est-ce pas ce qui est arrivé aussi à l’intelligentsia africaine dans son ensemble ?

Les prouesses techniques occidentales, qui sont certes à louer pour le bien de l’humanité, mystifient le Congolais et contribuent à son hébétude. Privé de son histoire, de son identité et malgré ses capacités scientifiques, techniques et intellectuelles, il reste floué par la littérature divine révélée qui l’empêche de pousser plus loin la réflexion devant l’adversité, puisqu’un Dieu pourvoira à ses besoins dans l’extrême précarité ou tout au plus simple il élira domicile au ciel d’autant qu’il n’est que pèlerin dans ce bas monde ; il ignore que ses ancêtres ne croyaient pas à un tel enseignement de fatalité et d’aumône de la part de Dieu, et qu’ils ont été à la base de la recherche scientifique, au moment où tous les autres peuples du monde eurasiatique passaient la nuit dans des cavernes, mais que plus tard l‘Occident prit le relais en la perfectionnant jusqu’à nos jours.

Et enfin s’il pouvait avoir le goût de la lecture, s’il pouvait comprendre ou saisir la nécessité du savoir, il comprendrait que ses ancêtres considéraient la science comme un bien au service de l’humanité et non un outil de domination et de destruction d’autres peuples.

Et c’est la raison pour laquelle la science aux temps reculés de nos ancêtres en prenant l’exemple de l’Égypte antique et même plus récemment avant la seconde arrivée d’envahisseurs européens, était initiatique, c’est-à-dire destinée aux jeunes hommes et femmes dont la vie triomphait du vice et de la déraison. En d’autres termes, la communauté veillait à ce que les esprits tordus n’accèdent pas à la connaissance scientifique.

La science est dangereuse entre les mains des amoraux. Nous en avons un exemple frappant après la défaite militaire du dernier souverain noir de l’Égypte antique. C’est à ce moment-là que toute la science passa aux mains des envahisseurs. Et aujourd’hui, nous en vivons les conséquences. La tribu est une preuve d’identité africaine qu’il faut conserver à tout prix, pas seulement pour des raisons de liberté et d’autogestion politique, mais parce qu’elle répond à la diversité que la Nature a pourvue, et qu’elle s’oppose naturellement à l’universalité que l’Occident prône et veut imposer unilatéralement.

Bonne journée.

Bababebole Kadite

Norvège, le 19 novembre 2022

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(1) Professeur Cheikh Anta Diop. Conférence du Niger.

(2) Charles De Gaulle. Général et ancien président de la République de française.

info@kamaplustv.net

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