RD CONGO : Sont-ils vraiment mendiants, nos artistes musiciens ?

RD CONGO : Sont-ils vraiment mendiants, nos artistes musiciens ?
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RD CONGO : Sont-ils vraiment mendiants, nos artistes musiciens ?

Mon petit,

J’ai l’habitude de me trémousser lorsqu’une des partitions musicales de Ngeleka, une virtuose de la danse et de la chanson luba et congolaise, me titillent les oreilles. Ayant pénétré chaque fibre de mon corps, je dois absolument me lever – c’est plus fort que moi – et entamer cette danse traditionnelle luba qu’on appelle faussement Mutuashi.

C’est qu’à travers cette sublime sonorité instrumentale, le griot élève sa voix, s’interroge sur la mort, éduque, et dénonce l’hypocrisie des mélomanes. Il supplie les fanatiques de s’occuper de lui pendant qu’il est encore vivant ; mort, tous les bienfaits qu’ils pourront faire pendant ses funérailles ne lui serviront pas, ni même à sa progéniture qu’il laisse. Bien d’autres membres de la famille en profiteraient. Je te laisse t’imprégner de ce délice avant de continuer notre réflexion: https://youtu.be/EhM6MNAjZJ8 . À partir de la quatrième minute, tu trouveras les mots qui concernent notre point de vue.

La chanson aura probablement été composée vers la moitié des années 1980. Curieusement, à cette époque, comme saisis par la muse de la musique funèbre, bien d’autres vedettes de la chanson philosophaient sur la mort dans leurs productions musicales, dont le poète Lutumba Ndomanueno Simaro dans “Testament ya Bowule”, Koffi Olomide dans « Myriam Moleka”, Dindo Yogo dans “Liwa yo moyibi”. Quelques années plus tard, un jeune mécène, devant la criante mauvaise condition de vie de certains musiciens, prend le taureau par les cornes et crée une émission télévisée intitulée : “Aimons-nous vivants” où il reçoit les vedettes de la chanson qui ont fait leurs preuves et les gratifient de cadeaux.

L’initiative est hautement louable et fortement philanthropique. Personne ne peut le nier. Mais fallait-il vraiment qu’on y arrive à cette extrémité quand on sait que la plupart de nos vedettes de la chanson ont fait la pluie et le bon temps ? Adulés, certes pour leurs prestations et rémunérés à la hauteur de leurs célébrités, ne pouvaient-ils pas penser à la retraite ou du moins au tarissement de l’inspiration ? Point n’est besoin ici d’étaler les commentaires des plusieurs vedettes de la chanson qui se sont plaintes de leurs états de vie médiocres après une carrière bien réussie. Ils estiment avoir beaucoup  fait pour le pays. “Tosali mingi pona mboka oyo(1)”. Laisse-moi dire avant de continuer que personne ne peut se prévaloir d’avoir fait quoi que ce soit pour le pays.

C’est une prétention qui est fauchée par l’origine même de celui qui pense valoir plus que l’État congolais. Toute personne naît à poil, sans un rond, tout comme l’avaient été ses propres parents, mais avec ses qualités intellectuelles, artistiques, littéraires, scientifiques enfouies en lui et j’en passe, que l’État congolais, je répète l’État congolais, s’est chargé de développer.

Les prouesses des uns et des autres contribuent avant tout à leurs propres développements et ensuite à la société tout entière, on ne doit pas l’ausculter. Mais de là à dire que le pays doit à qui que ce soit, procède de l’ignorance ou de l’arrogance. Par contre, ils doivent tout à l’État congolais : le milieu dans lequel ils évoluent, leur éducation, leur instruction, leur émancipation, toute les structures qu’ils ont trouvées en venant au monde et qui ont fait qu’ils puissent devenir ce qu’ils sont aujourd’hui. Qui doit à qui ? Se croire plus grand que le pays est ce piège qui empêche le développement du pays par l’accumulation illicite des ressources nationales du pays, avec l’idée qu’on se paye à la source, puisque l’État ne veut pas reconnaître ses “hauts faits”.

Revenons aux griefs des musiciens contre l’État congolais. L’État zaïro-congolais, bien sûr, est la première cible pour n’avoir pas organisé un bon système de retraite et combattu le piratage de leurs oeuvres. On s’est abattu ensuite sur les mélomanes qui ne soutiennent pas suffisamment leurs vedettes. Le comble dans cette histoire est que certains artistes musiciens se comportent comme si cela va de soi qu’ils reçoivent du soutien financier de la part de leurs fans. Et pourtant, les fanatiques payent l’entrée des concerts et achètent leurs œuvres d´esprit. Mais si on demandait à un fanatique pourquoi il donne son argent à un musicien, il te répondra avec étonnement : “ Mais aza idole na na nga”.(2) De son côté, le musicien nanti ou pas prendra avec joie de l’argent venant d’un compatriote visiblement plus pauvre que lui. Ne s’agit-il pas là une manière pour l´artiste musicien de décourager une bonne volonté ou plutôt que l’argent ne sent jamais mauvais ?

Que cela semble aller de soi que les vedettes nationales s’attendent aux générosités des fans, et que les fans à leur tour n’y trouvent rien à redire, est une situation qui puise son origine dans notre passé traditionnel. Pendant cette période de notre histoire culturelle, les griots qui chantaient la généalogie des chefs ou d’une famille quelconque et les groupes musicaux pour toute la tribu, n’avaient pas de salaire ; leurs honoraires procédaient des libéralités des membres de la tribu au moment de leurs prestations. Cette conception de la vie n’a plus de valeur dans le monde d’aujourd’hui où les chansons sont enregistrées et vendues. L´artiste musicien perçoit des dividendes à travers son disque vendu et les droits d’auteur, la publicité des marques déposées des articles des sociétés de tabac ou de la boisson pour ne citer que ces deux-là, et tout ce qui tourne autour de sa profession d´artiste musicien y ajoute aussi un merveilleux surplus à son revenu.

Devrait-on parler de nos jours de la mendicité en tenant compte de la différence d’époque ? À mon avis, nos vedettes ne mendient pas; ils ne sont pas mendiants, parce que la mendicité suppose une extrême pauvreté où le besoin primaire du manger n’est pas atteint ; on mendie donc pour survivre. Or, nos poètes musiciens mènent une vie au-dessus de la moyenne sur l’échelle de valeurs du pouvoir économique dans le pays. J’aimerais croire que certaines de nos vedettes ignorent ce passé traditionnel et continuent de se comporter comme des mendiants ; elles doivent faire preuve de retenue, d’honneur et de bon sens. D’honneur et de retenue pour éviter ce spectacle honteux d’un monsieur ou d’une dame qui monte au podium et fait pleuvoir des billets de banque sur leurs têtes dans le souci d’apparaître ; il est de bon sens de ne pas recevoir de l’argent des mélomanes congolais pauvres. Même lorsque ces derniers le font d’eux-mêmes par manque de connaissance à ce sujet.

La perpétuation de ce passé traditionnel dans le monde d’aujourd’hui pourrait bien être considérée comme de l’arnaque. Pourquoi se lamenter de ne pas être financièrement soutenu par les fans ? Cette attitude obligerait certains à croire avoir raison de dire que les artistes musiciens usent de leur aura, de leur notoriété, de leur emprise sur les fanatiques pour susciter chez ces derniers, un sentiment de culpabilité de ne pas avoir à soutenir matériellement leurs idoles, et d´en récolter ainsi des dividendes. L’artiste Ngeleka n’est pas le seul ; il y a plusieurs vidéos qui attestent de ce genre de comportement des artistes musiciens congolais. Et doit-on ainsi s’en étonner de voir qu’une certaine opinion congolaise qualifie de mendiants, sans distinction, les artistes musiciens congolais ?

Il y a lieu de comprendre qu’on ne pèche pas lorsqu’on ne gratifie pas d’un présent son idole dont le train de vie dépasse largement celui de soi-même, mais au contraire, par delà le plaisir que l’on ressent à donner, on s’appauvrit. Le billet qu’on achète pour assister à son spectacle est la contribution à l’élévation de son idole. C’est le riche qui doit donner au pauvre et non l’inverse. Malheureusement les riches s’en foutent. Si le doute persiste, mon petit, rends visite à ton idole et demande-lui de l’aide financière, puis reviens et crucifie-moi.

À plus tard !

Bababebole Kadite

Norvège, 10/02/23

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(1) Nous avons beaucoup contribué à l’essor de ce pays.

(2) Mais c’est mon idole.

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