Lettre ouverte à Monsieur l´Abbé Blaise KANDA de la Paroisse universitaire Notre Dame de l´Espérance.

Monsieur l´Abbé,

Parfois, me parviennent sur mon compte WhatsApp vos prédications sociales. Par-delà votre verve oratoire doublée d’une analyse judicieuse de la société congolaise et la proposition des voies et moyens pour s’en sortir, vous fustigez le comportement politique qu’affichent ceux qui en principe devraient à juste titre lancer la reconversion des mentalités ou des valeurs dans votre vidéo ci-dessous:

Par ce travail hautement louable et salutaire, je vous prie de croire que j’ai une grande estime pour vous. Néanmoins, votre approche suscite en moi une réaction, car vous essayez de disculper la part de responsabilité ou la responsabilité tout court du Christianisme dans la déchéance d’une élite en particulier et de nos populations en général. Car vous dites que cette dépravation n’a rien à voir avec le Christianisme qui, au demeurant, réprouve le vol et autres. Certes, ce serait nier l’évidence que de dire le contraire.

Mais une question me laboure le corps : ne sont-ce pas Chrétiens, cette élite et la masse congolaise ? Les statistiques nous disent que 85% des Congolais sont Chrétiens. Et la preuve ? Il suffit de jeter un coup d’œil dans les assemblées pour s’en convaincre. Je ne parle pas que de la messe dominicale, mais aussi des activités qui en sont liées pour votre part, et pour d’autres c’est pire. Que vous en semble ? Si le Christianisme faisait du bon travail, en serait-on là ? De grâce, n’évoquez pas le libre arbitre de l’homme ou de la femme, puisqu’il n’est qu’une déclaration verbale dans le Christianisme. Scripturairement, Dieu ne suscite-t-il pas le vouloir et le faire en l’homme, et Satan ne le corrompt pas ? Nous savons tous les deux de quels versets il s’agit. L’erreur originelle a été la divinisation de la morale. La morale a précédé la religion. Par sa soif de puissance, l’homme a conçu l’idée, dans l’Orient ou dans l’Occident, qu’importe, mais pas en Afrique, pour pouvoir assujettir son prochain, surtout la femme, dans une panoplie de versets tout aussi discriminatoire que mysogine. “C’est votre culture”, dites-vous. De quelle culture parlez-vous ? Le peuple congolais a la culture chrétienne, celle du pardon facile, de l’obéissance aveugle, de la résignation devant le mal, celle de l’esclavage, du pelerin sur terre en attente du paradis, etc.

Vous continuez votre reproche impersonnelle dans l’espoir de susciter une réaction positive de la part de l’élite, – j’en conviens – en disant que cette religion est venue de l’Orient en passant par l’Occident qui l’a amenée chez nous, mais que l’Occident a pu s’en débarrasser. Une autre évidence.

Monsieur l´Abbé, si vous avez eu le temps de dire cela, vous devriez avoir aussi le temps de dire à vos ouailles comment l’Occident a pu s’en débarrasser et combien de temps cela leur a pris. Vous devriez leur dire, vous qui maîtrisez l’histoire du Christianisme dès ses origines ; l’Antiquité, tout le Moyen Âge, la Renaissance a été sous les bottes du Christianisme sous un exercice brutal qui renie une part d’humanisme qui prévaut dans les évangiles. Ce n’est qu’au début du siècle des Lumières qu’on a commencé à réfléchir à comment se débarrasser de la tutelle du Christianisme. Et ce n’était pas l’œuvre des chrétiens, mais des intellectuels que la juste réflexion a brisé le carcan de l’asservissement intellectuel religieux. Plus près de nous si l’on peut dire, la Révolution de Martin Luther a été conçue et réalisée à l’interne et à cause de la contradiction interne quelques siècles après le Grand schisme. Or, comme État-nation, nous venons à peine de naître par rapport aux États-nations occidentaux. Mais nous avons l’espoir – car nous y travaillons -, de pouvoir nous en sortir à moins de temps que les Occidentaux ont eu à le réaliser. Nous pensons que notre libération ne passera pas par les Chrétiens aliénés puisqu’ils nous ont montré leurs limites, mais par des esprits chrétiens éclairés, comme vous par exemple, et surtout par ceux qui retournent à la source de leur identité propre en tant que mukusu, musuku, mukongo, mungala, mubembe, mubemba etc. avant de devenir Congolais par la volonté de l’envahisseur européen, et qu’ayant évoqué l’humiliation subie par notre écrasement par les forces militairement occidentales, vous omettez de dire que le Christianisme nous avait été imposé. L’adhésion dont vous parlez au Christianisme relève du fait accompli et en Afrique et en Occident. Des peuples considérés comme païens par rapport à la nouvelle idéologie religieuse ont été décimés pour asseoir le Christianisme. Doit-on parler aussi de la bénédiction papale pour le trafic d’esclaves en Afrique ? Le retour aux sources ancestrales suppose une recherche endogène des voies et moyens pour la survie des État-nations africains, et non une confrontation religieuse.

Quant à votre affirmation sur un fait que le Christianisme a développé l’Occident. Rien n’est tout à fait vrai. Vous devriez nuancer vos propos à l’avenir. Je l’ai dit plus haut, ce sont des intellectuels déchristianisés, des philosophes et autres qui ont d’abord libéré la réflexion de l’obscurantisme chrétien et développé ensuite l’Occident, et naturellement les Chrétiens ont suivi avec enthousiasme. Il y allait bien entendu de leur intérêt. La gestion du Christianisme au temps de sa toute puissance sacerdotale avait été despotique, meurtrière et farouchement opposée à la science. Personne de sensé ne peut le nier, à moins d’être fanatique ou ignorant.

Monsieur l´Abbé, vous essayez d’élever votre idéologie religieuse au détriment de la pensée ancestrale congolaise et africaine, – c’est de bonne guerre idéologique -, en soutenant une thèse basée sur un fait, lorsque vous dites : “ Quand vous croyiez en vos dieux, les autres sont venus avec leur Dieu et vous ont vaincus”. De prime abord, je constate que vous ignorez la cosmogonie africaine, ou vous dénigrez vos propres compatriotes ou que vous voulez seulement souligner la primauté de votre Dieu par rapport à celui des Congolais aux yeux de vos ouailles qui doivent rester des moutons, – la Bible le souligne – afin qu’ils soient bêtement amenés vers la boucherie, c’est-à-dire dans l’aliénation mentale et culturelle. L’ayant compris, certains Congolais revendiquent le retour aux sources ancestrales pour y puiser la force et l’expérience essentielles pour un développement qui ne serait pas calqué sur l’Occident. Je crois l’avoir noté plus haut. Et selon votre propre aveu, le Christianisme congolais est dilué, insipide, incolore et inodore. Et vous étonnez-vous que le Congolais proclame que le Christianisme empêche l’Afrique de se développer ?

Monsieur l´Abbé, si le développement du pays n’a rien à voir avec Dieu, à quoi sert le Christianisme alors ? En quoi, la revendication ou la dénonciation des Congolais vous choque tant ? Est-ce parce qu’elle entamerait le nombre de vos fidèles ou parce qu’elle exècre votre Dieu ? Ne leur rendez-vous pas la monnaie de leur pièce ? Ils ont fait l’expérience du Christianisme et sont déçus. Pourquoi ? Parce qu’ils ont expérimenté que le Christianisme renferme les germes de leur apathie – remettre son destin à Dieu ou s’attendre à Lui pour toute chose -, du bourrage des crânes – Jésus, Dieu fait homme sans lequel l’humanité est perdue -, de l’intoxication spirituelle –  Jéhovah est le seul vrai Dieu -, du mensonge – personnages et faits fictifs ou légendaires considérés comme historiques, etc. Pensez-vous, en toute honnêteté, que devant un tel échantillonnage, un Chrétien peut susciter un mouvement de révolte ? Depuis le siècle des Lumières jusqu’à ce jour, le pouvoir spirituel du Christianisme est en décadence, il ne lui reste que le pouvoir politique à travers ses millions d’adeptes qui le soutiennent par le chantage de l’Enfer. Le jour où – dans cinquante ans ou moins – ils comprendront que c’est une arnaque spirituelle, le Christianisme aura vécu. Les intimidations hypocrites, les arrestations arbitraires et les assassinats ciblés n’y changeront rien. C’est un processus inéluctable en Afrique.

Les églises chrétiennes dites faussement de réveil, – le Christianisme s’est érigé sur la révélation -, seront les premières à disparaître, parce qu’elles tentent de rester plus ou moins dans la droite ligne des lois mosaïques et des évangiles; l’Église catholique sera la dernière, parce qu’elle suit le mouvement évolutif de la pensée humaine. Sans cette brèche dans l’orthodoxie évangélique, elle aurait disparu depuis longtemps. Et c’est justement cette faille qui fait adhérer les intellectuels dans l’Église. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent tout en s’attendant à la bénédiction divine.  Ce n’est donc pas étonnant qu’elle, l’Église, focalise plus son attention sur les évangiles plutôt que sur les livres de l’Ancien testament d’où elle tire quelquefois des versets pour corroborer la vision christique.

Monsieur l´Abbé, je vous promets de lire les livres de ces deux compatriotes pour m’en faire une idée précise. Mais quant à la citation du professeur Mabika Kalanda par vous dites en ces termes : “Nous avons été colonisés, parce que colonisables; nous avons été exploités, parce que exploitables; nous avons été volés, parce que volables”, je ne saurais dire dans quelle optique il aurait dit ces propos, mais mon commentaire est que le professeur aurait pensé que la faiblesse est une tare. Qu’il ne faut jamais être dans cette position pour subir, qu’il faut toujours vouloir ẽtre fort pour dissuader et s’en sortir pour le cas Congo pour être libre et fort. Du point de vue politique, selon ma perception de la citation, cette dernière est pragmatique, juste et légitime.

Mais monsieur l´Abbé, vous ne devriez pas vous, soutenir ou donner en exemple une telle affirmation qui va à contre-courant de vos dogmes de foi sur la paix, la non violence, l’acceptation de soi de sa destinée… Car le propos du professeur incite à juste titre sur une révolte du peuple congolais opprimé et esclavagisé.

En définitive, monsieur l´Abbé, mon action ne vise pas votre foi, mais je considère que vous n’êtes pas à votre place dans le sacerdoce. Veuillez m’ excuser. Vos déclarations contredisent votre apostolat de paix avec tout le monde. Vous devrez rejoindre la classe d’intellectuels congolais qui ne se baignent pas dans la légèreté politique que vous fustigez avec raison, justesse et patriotisme.

Bonne journée.

Oslo, le 15 avril 2023

Bababebole Kadite